Nachruf auf Prof. Dr. Rita Schober (1918-2012)
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Hommage à Rita Schober
(1918-2012)
Rita Schober fut la médiatrice principale de Zola en Allemagne après la Seconde Guerre mondiale. Professeur de Romanistique à l'Université Humboldt de Berlin de 1954 à 1978, elle a dirigé à partir de 1952 la retraduction en allemand des Rougon-Macquart pour la RDA. En 1974, deux ans avant la fin de cette édition, la RFA – qui jusqu’alors ne s’intéressait guère à Zola – l'a achetée. Tant dans ses postfaces que dans ses articles, Rita Schober a couvert de nombreux aspects de l'œuvre du maître de Médan. Du temps de la RDA, elle pouvait parfois se rendre à des colloques internationaux, et ainsi exposer ses travaux et rencontrer des collègues. Les zoliens qui la connaissaient attestent de la valeur de ses travaux, certes accomplis dans une optique marxiste. Tous, ils ont rencontré ou entendu parler de « Die schöne Rita », dite encore « die rote Rita », de cette « grande dame » de la romanistique allemande à l'élégance légendaire. Elle était fière de l'amitié que les collègues français lui témoignaient, et nombreux et fidèles étaient aussi ses amis allemands. Je la connaissais depuis 2001 et je devais notre rencontre et notre amitié à Colette Becker. Dans le cadre de ma thèse de doctorat sur la réception de Zola en Allemagne, je l'avais rencontrée pour la première fois en 2001, quelques jours après le 11 septembre.
Âgée de 31 ans au moment de la naissance de la RDA, elle a fait toute sa carrière dans ce pays et lui était reconnaissante, comme elle l'a expliqué après la Wende : « Ich gehöre nicht zu denen, die gegen die DDR waren. Ich hatte als Umsiedlerin hier eine neue Heimat gefunden, und die wollte ich nicht wieder verlieren. Und ich habe versucht, im Rahmen meiner Kenntnisse, meines Wissens und meines Überblicks das Beste in meiner Arbeit für den Aufbau einer gerechten Gesellschaftsordnung zu geben. […] Ich stehe also nicht an, mich zu korrigieren in bezug auf Fehler oder Verengungen, die wir zu einer Zeit gemacht haben, als das Gros der französischen Intellektuellen vaguement de gauche war. Nun waren wir damals nicht vaguement de gauche, sondern von dem ehrlichen Bestreben geleitet, eine bessere neue Zeit aufzubauen. Und ich habe geglaubt, daß eine sozialistische Gesellschaft diese bringen würde. Daß der dazu beschrittene Weg ein Irrtum war, den man heute verurteilen kann, und daß sich aus diesem Irrtum auch in vielerlei Hinsicht Restriktionen ableiteten, stelle ich nicht in Abrede. » [« Romanistik an der Humboldt-Universität zu Berlin. Periodisierungsversuche im Streitgespräch », dans : Dorothee Röseberg (dir.), Frankreich und « Das andere Deutschland », Cahiers lendemains, Tübingen, Stauffenburg, 1999, p. 434]
Née dans la Bohême du Nord, à Rumburk, c'était une Allemande des Sudètes et c'est à Prague qu'elle étudia, de 1936 à 1938 puis de 1944 à 1945, la romanistique et la philologie classique. En 1945, Rita Schober est une jeune femme de 27 ans, une intellectuelle qui vient de soutenir sa thèse en linguistique française, mais aussi une jeune veuve. Sa mère est couturière, son père était décorateur en qualité d’employé ; d'abord boursière, elle avait dû travailler à partir de 1939 pour financer ses études. Après l'Umsiedlung en zone soviétique , elle s'installe avec sa mère à Halle en 1946 et aide à la reconstruction de l'Institut de romanistique. C'est là qu'elle fait la connaissance de Victor Klemperer dont elle deviendra l'assistante, la confidente, et auquel elle succédera à Berlin. Après la guerre, elle avait choisi l'Est, plus prompt à dénazifier que l'Ouest, mais elle l'avait fait aussi par conviction communiste. Elle me disait souvent être entrée au parti dès la fin de la guerre, à Prague. Les journaux de Victor Klemperer nous renseignent sur la profonde amitié qui unit cet intellectuel persécuté sous le nazisme (l'auteur de LTI) et son assistante ; c'est un témoignage de leurs doutes et souvent de leur lucidité concernant certains aspects de la politique culturelle et universitaire de leur pays d'adoption. Rita Schober ne renseigna jamais la Stasi et fut même brièvement surveillée dans les années 1970 pour sa liberté de jugement et ses contacts internationaux.
Son action pour le maintien de sa discipline en RDA fut déterminante. Elle parvint, malgré les réformes, à préserver une véritable romanistique à la Humboldt et à partir de 1961, elle fonde et codirige les Beiträge zur romanischen Philologie, la seule revue de romanistique dans ce pays. Elle prit aussi en main la revalorisation de Zola, relégué derrière Balzac (et bien d'autres) par Engels puis le pape de la théorie littéraire marxiste György Lukács. Dans un premier temps, Rita Schober suit Lukács, mais contrairement à lui, elle se plonge dans l'œuvre de Zola davantage que dans son programme, elle le pense dans son temps et fait du romancier un réaliste. Après cette première phase, qu'il faut bien qualifier de dogmatique, elle peut mettre en exergue la qualité des descriptions zoliennes, souligner les qualités esthétiques de Zola davantage que sa fidélité à 'la vérité'. Ce tournant esthétique correspond au moment où Lukács est mis au ban du fait de son engagement politique. C’est en 1957 que Rita Schober passe à l'acte avec sa postface au Ventre de Paris : elle peut enfin valoriser les descriptions zoliennes parce qu'elles décrivent de manière moderne un sujet moderne. Dès les années 1970, Rita Schober se montre capable de distance par rapport à ses propres travaux, comme en témoigne la réécriture de ses postfaces à l'occasion de l’achat de son édition par l'Ouest. Elle travaille aussi sur la réception de l’œuvre de Zola, contribuant ainsi à l’évolution de la recherche universitaire est-allemande dans les années 1970, moment où l'intérêt se déplace de la vérité de l'œuvre vers sa réception (on connaît les travaux de l'école de Manfred Naumann, dite de Berlin, qui font concurrence à ceux de l'école de Jauss, ou école de Constance).
L'angle adopté par Rita Schober pour la revalorisation n'est pas celui du 'romancier du prolétariat'. Cette dimension est certes présente, surtout au début, et implicitement dans la préférence donnée à Germinal. Mais rapidement, Rita Schober développe d'autres stratégies et porte sa réflexion à un niveau plus théorique. Ses travaux sur Zola sont marqués par une réserve constante à l'égard de sa vision du monde, et en particulier à l'égard de son biologisme. Jusqu'en 1989, c’est une réception qui reste idéologique, puisque les défauts de Zola résultent de divergences avec la « réalité objective » des marxistes. Comme chez Lukács, cette réticence déboucha sur des réserves esthétiques, basées cependant dans le cas de Rita Schober sur des études stylistiques approfondies.
Après la réunification, son approche se caractérisait encore par un refus de considérer une œuvre en dehors de toute attache extérieure (ce qui ne l'avait pas empêchée, du temps de la RDA d'introduire la pensée de Roland Barthes dans ce pays). Elle ne voulait pas séparer l'auteur de son œuvre, privilégiait la question du sens de l'œuvre et refusait toute tentative d’écarter l'Histoire de la recherche littéraire. Elle avait été la première universitaire allemande à prendre au sérieux Michel Houellebecq, comme le montre un premier article en 2001, suivi de plusieurs autres. Elle voyait en lui le représentant d'un nouveau paradigme qu'elle appelait « néo-naturalisme provocateur ». Après 1990, elle n'a pas oublié Zola et elle a écrit les articles qu’elle ne pouvait pas écrire auparavant, dirigeant également une édition des Rougon-Macquart en CD-Rom.
Sur le plan académique, elle se singularisait par sa capacité à l'autocritique. Dès 1993, à l'occasion d'un colloque consacré au centenaire des Rougon-Macquart, elle revenait sur ses travaux zoliens, en montrait les coulisses, soulignait ses erreurs, expliquait ses interprétations de l'époque, mais défendait aussi ses idées . Par la suite, elle avait réitéré, jetant en de nombreuses occasions un regard critique sur son action en RDA, à un moment où le monde universitaire allemand entreprenait le réexamen (parfois sévère) de cette période. Depuis quelques années, elle écrivait ses souvenirs. La rigueur dont elle faisait preuve en cette occasion comme ailleurs avait pour but de documenter avec précision ses expériences, mais aussi bien sûr de les communiquer, de les faire ressentir. J'ai pu en lire des extraits. Mais sa mort est venue interrompre ce projet de longue haleine.
Outre Zola et le réalisme, ses travaux portaient sur Marie de France, Dante, les doctrines poétiques classiques en Italie et en France, Boileau, George Sand, Guy de Maupassant, Henri Becque, Louis Aragon. Dans les années 1960, alors que la politique culturelle de la RDA connaissait une libéralisation passagère, elle fut la première à se confronter au structuralisme. Rita Schober fut membre de l'Association internationale de Littérature comparée et active dans ses comités de direction entre 1970 et 1988. Durant sa carrière, plusieurs fonctions et titres honorifiques lui furent décernés : à partir de 1969, elle est membre de l'Académie est-allemande des sciences (jusqu'à sa liquidation en 1991), puis membre de la Leibniz-Sozietät qui lui succède en 1993 ; en 1972, elle reçoit le Prix national de la RDA ; de 1974 à 1975, elle est membre du comité exécutif de l’UNESCO, et à partir de 1975 membre du PEN-Club (d'abord de RDA, et après la réunification, du PEN-Club allemand). En 1978, elle reçoit l'Ordre du mérite pour la patrie (or), après le bronze (1964) et l'argent (1968). La France la nomme, en 1978, Chevalier dans l'Ordre des palmes académiques. Le titre de docteur honoris causa de l'Université Humboldt lui fut décerné en 1988, dix ans après son éméritat. Elle était aussi connue du grand public du fait de ses nombreux passages à un « talk-show universitaire » qui passait une fois par mois, le dimanche, à la télévision de RDA (Das Professoren-Kollegium tagt).
Rita Schober avait beaucoup de charisme et entretenait l'amitié. Elle connaissait des chercheurs de toutes les générations, suivait leur parcours, faisait le lien entre les uns et les autres, prodiguait ses conseils, photocopiait pour vous un article intéressant. Pour ma part je recevais toujours ses envois avec émotion, déchiffrant son écriture (Sütterlin) d'un ancien temps. Plusieurs fois, j'avais travaillé dans ses archives, chez elle. Elle me laissait tout voir et tout photocopier. Par deux fois, elle m'avait accordé un long entretien, acceptant le rôle de « grand témoin ». On s'appelait souvent le dimanche soir, un peu avant ou après tel ou tel collègue. Parfois, c'était son amie Ilse qui décrochait et informait de la venue imminente de « Frau Professor Schober ». Une exclamation enjouée et encore un peu lointaine m’assurait alors de sa joie à me parler, puis elle prenait l'appareil et s'enquérait immédiatement et en français de mon bien-être. Parfois, c'était elle qui appelait, et elle avait préparé tout ce qu'elle avait à me dire. Ces moments étaient toujours émouvants, même s'ils m’impressionnaient aussi, car ils me donnaient une petite idée de son ancienne autorité et de son talent pédagogique. Rares étaient les anecdotes. Lisant les journaux de Berlin, mais aussi les journaux allemands et français, elle me faisait plutôt part de sa vision du monde, de ses inquiétudes pour l'avenir politique ou économique. Elle ne se complaisait pas dans ses souvenirs, elle était dans le présent et l'avenir, elle avait des choses à me dire et à m’expliquer, et elle voulait connaître mon avis, échanger. Parfois, elle annonçait ne pas se sentir bien, mais au bout de quelques minutes, sa voix me redonnait confiance en son état et si elle parlait de l'actualité, je savais qu'elle s’en sortirait une nouvelle fois. La mort de son fils unique, Hans-Robert, en janvier 2012, lui a porté un coup fatal. La guérison ne s'est pas accomplie cette fois et elle s'est éteinte paisiblement, chez elle, le 26 décembre, entourée d’amies dévouées. Pendant toutes les années où j'ai pu la côtoyer, j'ai été marquée par sa force de travail, son appétit de vivre, d’apprendre et de transmettre, en dépit de son grand âge. Elle avait traversé de nombreuses épreuves, elle s'était beaucoup battue, son courage était exemplaire. C'était une femme exceptionnelle.
Aurélie Barjonet
(Université de Versailles, St-Quentin)
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Un long entretien publié sur le site de l'Université Humboldt permet de la retrouver en photo et en vidéo : www.hu-berlin.de/alumni/prominente/interviews/schober/
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Publiziert von: cs